Berlin « endommagé politiquement » par le débat sur les chars d’assaut vers l’Ukraine
Radio-Canada
Alors que les ministres de la Défense des pays alliés de l’Ukraine se rencontrent vendredi sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, Berlin fait face à de grandes pressions pour autoriser l’envoi de chars d’assaut Leopard 2 vers l’Ukraine.
Si le média allemand Handelsblatt avance que le gouvernement allemand s’apprêterait à autoriser un envoi du genre, la position officielle de Berlin demeure pour l’instant de ne pas autoriser cette exportation tant que les États-Unis n’achemineront pas eux aussi ce type d’armement en Ukraine.
Liana Fix, chercheuse sur les questions européennes au Council on Foreign Relations, de Washington, explique pourquoi tout le débat autour des chars d’assaut représente un dommage politique important pour Berlin.
C’est la continuité de la politique allemande depuis le début de cette guerre. Le chancelier a toujours indiqué qu’il ne livrerait pas seul des armes à l’Ukraine, mais que cela se ferait en coordination avec les alliés. Cela dit, ce qui est nouveau est le fait que la coordination avec les alliés veut dire agir en même temps que les États-Unis. Il ne s’agit donc plus uniquement des alliés européens, mais il s’agit aussi d’obtenir une couverture de la part de Washington. C’est contradictoire avec le rôle que plusieurs souhaitaient que l’Allemagne joue en Europe.
En fait, cela rend le tout encore plus difficile à comprendre. Nous avons une coalition formée par trois partis pour la première fois en Allemagne. Dans cette coalition, deux des trois partenaires sont en faveur de la livraison d’armes. Un seul parti, le Parti social-démocrate du chancelier Scholz, s’y est opposé. Donc, le chancelier n’a pas uniquement subi les pressions des partenaires internationaux, mais aussi de la part de ses alliés en Allemagne. C’est vraiment la crainte de représailles de la part de la Russie qui a dicté la conduite du chancelier depuis le début de la guerre, mais cette position est devenue de plus en plus difficile à défendre.
Je pense que cela s’explique par le fait que contrairement à d’autres alliés européens, comme la France et le Royaume-Uni, l’Allemagne n’a pas une longue tradition en matière de culture militaire et stratégique. La livraison d’armes en Ukraine est une toute nouvelle étape, du moins depuis la fin de la guerre froide. Ce sujet fait également l'objet de débats plus vifs en Allemagne que dans d’autres pays européens, où il y a peu de discussions sur ce thème.
L’autre raison est liée à cette idée selon laquelle le parapluie nucléaire des États-Unis est la principale garantie sécuritaire des Allemands et qu’agir uniquement avec les alliés européens n’est pas suffisamment sûr. C’est compliqué parce que cela survient au moment où il y a des discussions à propos de la volonté des Européens de prendre leur destinée en main en développant une plus grande autonomie. Mais si le pays le plus important du continent, l’Allemagne, continue de regarder vers les États-Unis et d’attendre le feu vert de Washington, tous ces espoirs d’une Europe forte ne se matérialiseront pas.
L’Allemagne a un problème de réputation depuis le début de la guerre. Berlin a annoncé une transformation de sa politique étrangère en réaction à l’attaque contre l’Ukraine, mais, depuis, le pays n’a bougé que par petits pas. La crédibilité allemande avait déjà été remise en question, mais c’est encore pire avec le dossier des chars d’assaut parce que le refus initial de l’Allemagne d’envoyer ces véhicules n’a pas qu’un impact sur ses propres décisions. Sans l’approbation de Berlin, les autres pays européens qui ont acheté ces chars à l’Allemagne dans le passé ne peuvent pas les exporter vers l’Ukraine.
En plus des interrogations à propos de la crédibilité de l’Allemagne, ce dossier soulève des questions pour d’autres pays européens. Veulent-ils être dépendants de Berlin pour leurs besoins militaires de base, si l’Allemagne peut bloquer une décision comme celle d’envoyer les chars en Ukraine?