
Le nucléaire canadien aux mains des Américains
Le Journal de Montréal
Le Bureau de la concurrence retarde la signature d’un gigantesque contrat entre Ottawa et un consortium privé américain auquel le gouvernement fédéral veut céder l’exploitation du plus grand complexe scientifique et technologique du Canada spécialisé dans le nucléaire.
En pleine guerre commerciale avec Washington, ce contrat «soulève des préoccupations importantes», prévient un ex-haut dirigeant du complexe, les Laboratoires nucléaires canadiens (LNC), qui a parlé à notre Bureau sous le couvert de l’anonymat.
Ces inquiétudes sont partagées par les ingénieurs et les scientifiques des laboratoires qui remettent en question cette entente depuis des mois. Par la voix de leur syndicat, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, ils appellent à «protéger la souveraineté canadienne sur ses institutions de recherche les plus sensibles et stratégiques».
Les très secrets LNC sont nés en 1945. Leur gestion a été confiée au secteur privé il y a dix ans. Ce contrat avec AtkinsRéalis (anciennement SNC-Lavalin) et deux partenaires américains vient à échéance ce mois-ci.
En juin, Énergie atomique du Canada ltée (ÉACL) a annoncé qu’un nouveau conglomérat, le Nuclear Laboratory Partners of Canada inc., prendrait le relais le 13 septembre, en échange d’un contrat de 1,2 milliard$ par année renouvelable sur vingt ans, soit un total estimé à 24 milliards$.
C’est un des plus importants contrats jamais accordés par le gouvernement fédéral. En comparaison, le contrat d’achat de 88 avions de chasse CF-35 à l’avionneur américain Lockheed Martin était évalué à 19 milliards$ à sa signature en 2022.
Selon l’entente, l’État reste propriétaire des LNC, mais c’est un Américain, Dennis Carr, qui les présidera, épaulé d’un vice-président lui aussi américain, Mike Auble. Derrière eux, on compte trois sociétés américaines du secteur de la défense et de l’énergie (voir encadré).
L’ingénieur nucléaire Jonathan Fitzpatrick, président du syndicat des professionnels des laboratoires, fait remarquer que la seule entreprise canadienne du consortium, Kinectrics, a été absorbée par la société américaine BWXT juste avant l’annonce du contrat. De quoi susciter l’attention du Bureau de la concurrence, qui a décidé de passer la fusion au peigne fin.
Le gouvernement Carney devrait en plus exiger une révision urgente du contrat accordé au Nuclear Laboratory Partners of Canada inc., estime Margaret McCuaig-Johnston, ex-sous-ministre adjointe pour la technologie et les programmes énergétiques à Ressources naturelles Canada, car «les États-Unis ne sont plus un partenaire fiable», comme l’a dit le premier ministre lui-même.
