
«Je l’ai toujours soupçonné d’avoir abusé d’elle alors qu’elle avait 10 ou 11 ans...»
Le Journal de Montréal
J’ai toujours refusé de remonter dans le temps vu mon âge (75 ans), et le fait que j’ai vécu à une époque où les relations homme/femme étaient basées sur le droit du mâle à mettre les femelles, incluant la sienne, sous sa domination, sans même les consulter et en se sentant toujours légitimé à agir comme tel.
Je fus une femme élevée dans ce régime, et comme plusieurs autres, je fais partie de celles que Madame Janette Bertrand a réveillées à une dure réalité qu’on ne leur avait jamais apprise. J’aurais dû m’y mettre plus vite, mais ce ne fut pas le cas. Et malheureusement, je me rends compte aujourd’hui que certains de mes enfants en ont souffert.
Mon aîné qui est gai a d’ailleurs dû refouler longtemps sa vraie nature pour ne pas provoquer son père qui était prompt à la détente. Il a refoulé ça en fait jusqu’à ce qu’un diagnostic d’Alzheimer soit posé sur son père et qu’il ne puisse plus comprendre ce qui se passait réellement.
Mais ce n’est pas le pire de ce que je veux te conter Louise. Ça va d’ailleurs me prendre tout mon p’tit change pour te le dire, puisque même si je l’ai toujours soupçonné, je le retiens au fond de mon cœur depuis tant d’années sans jamais avoir eu le courage de le dire à personne.
Je crois qu’une grande partie des problèmes que ma fille a avec les hommes sont dus à son père. Je l’ai toujours soupçonné d’avoir abusé d’elle alors qu’elle avait 10 ou 11 ans. C’était une belle petite fille gentille et ouverte qui, du jour au lendemain, est soudainement devenue désagréable et agressive.
Mon refus de regarder la vérité en face et de la questionner sur ce qu’elle subissait l’a éloignée de moi. J’étais tellement partagée entre son père qui était notre seule ressource financière et mon incapacité à prendre la relève, que ça m’empêchait de réagir. J’aurais peut-être pu la protéger de quelque chose que je redoutais, mais auquel je me refusais de croire pour vrai. Mais je n’ai pas eu la force de le faire.
Elle vient rarement aux réunions de famille malgré le décès de son père, et je sens toujours qu’elle m’en veut à mort d’avoir refusé de voir ce qui se passait. Par ma fille la plus jeune qu’elle a toujours protégée, j’ai su qu’elle avait développé un paquet de problèmes physiques et psychologiques sur lesquels elle refuse de s’étendre et qu’elle attribue à son enfance difficile.
Est-il trop tard pour tenter une approche vers elle, comme me conseille de le faire mon fils duquel elle est très proche ? Sans vraiment connaître le fond de l’histoire de sa sœur, il me dit tout le temps que je suis la seule capable de la ramener dans le giron familial. Qu’en pensez-vous ?
Un cœur de mère bien triste
