
Une nouvelle percée scientifique pour traiter la douleur chronique
Le Journal de Montréal
L’étude génétique d’un garçon qui est incapable de ressentir la douleur a permis d’identifier une protéine qui pourrait servir au développement d’une nouvelle génération d’analgésiques contre la douleur chronique.
D’un point de vue physiologique, la douleur peut être considérée comme un signal d’alarme destiné à préserver l’intégrité du corps. Par exemple, si votre main entre en contact avec un objet brûlant, les nerfs sensitifs présents dans cette région vont générer un influx nerveux qui sera tout d’abord acheminé vers la moelle épinière, pour être ensuite transmis aux régions du cerveau spécialisées dans le traitement de cette information. Alerté par ce message, le cerveau envoie à son tour un influx nerveux qui emprunte la moelle épinière en sens inverse, atteignant les muscles contrôlant les mouvements de la main pour l’écarter de la source de douleur. Tout ce processus est réalisé en une fraction de seconde, permettant ainsi de rapidement mettre un terme à une situation qui risquerait d’entraîner de sérieuses blessures si elle perdurait.
Ce système de protection, essentiel à la survie, est cependant défaillant dans certains désordres neurologiques comme l’insensibilité congénitale à la douleur. Comme son nom l’indique, les personnes atteintes de cette maladie génétique très rare (de l’ordre d’une personne par million) peuvent percevoir correctement toutes les sensations physiques (toucher, pression), mais sont néanmoins, dès la naissance, complètement insensibles aux stimuli douloureux. En absence de ce signal de protection, ces personnes sont donc constamment à risque de blessures (morsures, brûlures, fractures) qui, si elles ne sont pas soignées, peuvent causer des infirmités ou encore des infections graves qui menacent leur vie. Les mécanismes moléculaires en cause demeurent mal compris, mais des mutations dans un certain nombre de gènes essentiels à la sensation de douleur ont été identifiées, la mieux caractérisée étant celle qui empêche la production d’une protéine (appelée Nav1.7) au niveau des nerfs sensitifs, ce qui bloque la transmission de l’influx nerveux douloureux.
Selon de nouveaux résultats obtenus par une équipe de brillants chercheurs de l’Université de Calgary, une autre protéine, appelée USP5, pourrait, elle aussi, jouer un rôle important dans la transmission du signal de douleur (1). Dans cette étude, les chercheurs ont analysé en détail l’ensemble du génome d’un enfant décédé subitement à l’âge de 16 ans et qui était depuis sa naissance complètement insensible à la douleur.
Cette analyse a révélé une mutation unique dans un gène codant pour la protéine USP5, une enzyme (deubiquitinase) connue pour contrôler l’activité d’un canal ionique (Cav3.2) qui fait entrer le calcium à l’intérieur des neurones sensitifs et participe à l’influx nerveux associé à la douleur. Puisque ce canal est identique à 99% à celui retrouvé chez les souris, ils ont créé une mutation équivalente chez ces animaux en utilisant l’outil d’édition CRISPR, une technologie révolutionnaire (prix Nobel de chimie en 2020) qui permet de modifier très précisément la séquence de n’importe quel ADN.
Ils ont alors observé que les souris dont la protéine USP5 avait été mutée étaient moins performantes pour détecter la douleur aiguë que les souris normales et qu’elles avaient également développé une résistance à la douleur inflammatoire et chronique.
Ces résultats suggèrent que la protéine USP5 pourrait être une cible intéressante pour le développement d’un nouveau type d’analgésiques. Ceci est particulièrement important dans le contexte des douleurs chroniques: rappelons qu’environ 20% de la population canadienne est affectée par une douleur persistante qui perturbe les activités quotidiennes et diminue considérablement la qualité de vie. Il s’agit d’un grave problème, car ces douleurs sont souvent résistantes aux analgésiques actuellement disponibles, alors que ceux qui possèdent une plus forte action antidouleur, comme les opiacés, peuvent créer des problèmes de dépendance. Une autre étape importante dans la recherche sur la douleur vient donc d’être franchie.
(1) Antunes FTT et coll. A pathological missense mutation in the deubiquitinase USP5 leads to insensitivity to pain. J. Exp. Med. 2025; 222: e20241877.
