Quel avenir pour le droit à l’avortement aux États-Unis?
Radio-Canada
JACKSON, Mississippi – Contesté par le Mississippi et défendu par la seule clinique d’avortement de cet État – celle de la Jackson Women's Health Organisation, surnommée la Pink House –, le droit à l’avortement est désormais entre les mains de la Cour suprême des États-Unis. Qu'est-ce que cela signifie vraiment?
L'affaire est sans suspense pour bien des experts et observateurs depuis l’audience du 1er décembre; c’est le cas de la sociologue Kimberly Kelly, spécialiste de l’étude des genres au Mississippi.
Celle-ci croit que le plus haut tribunal des États-Unis, aujourd’hui dominé par les juges conservateurs, va abroger l’arrêt historique Roe contre Wade, grâce auquel ce même tribunal a autorisé les Américaines à se faire avorter en 1973.
Roe contre Wade a été en vigueur pendant presque 49 ans. Il n’y a pas une femme, nulle part aux États-Unis, qui a été en vie, et encore moins en âge de procréer (15-44 ans) à une époque où l’avortement était illégal. C’est un énorme recul pour les femmes de ce pays, dit Mme Kelly.
Kimberly Kelly, qui suit depuis une quinzaine d’années le débat sur l’avortement au Mississippi, un État du Sud conservateur et ancré dans la Bible Belt américaine, a accepté de répondre à nos questions.
Il y a une grande corrélation entre les grossesses non désirées, la pauvreté et la race, au Mississippi, avec les femmes afro-américaines qui se voient refuser l’accès à la contraception, entre autres problèmes d'accès aux soins de santé. Le Mississippi a un taux très élevé de grossesses non désirées, et chez les femmes noires, il est de 72 %, comparativement à 47 % chez les femmes blanches […] L’État a également un fort taux de mortalité maternelle et infantile, et il est trois fois plus élevé chez les femmes noires que chez les femmes blanches.
« Si le Mississippi voulait vraiment réduire les avortements, il prendrait des mesures proactives pour réduire le nombre de grossesses non désirées et pour offrir du soutien aux familles. Mais il n’est intéressé par aucune de ces pistes. »
Au Mississippi, le débat sur l’avortement est intense. Il faut comprendre que l’on se trouve dans l’État qui est probablement le plus religieux et le plus conservateur de tout le pays. Il surpasse tous les autres quand on consulte les baromètres de religiosité. C’est un État redneck. Et bien qu’il y ait des politiciens démocrates ou progressistes en nombre significatif, ils sont loin d’être majoritaires. Donc, nous vivons un règne conservateur. Et ces politiciens conservateurs s’évertuent depuis longtemps à trouver le moyen de faire abroger Roe contre Wade.
Du travail de terrain : organiser le stockage des médicaments nécessaires à l’avortement; organiser des collectes de fonds pour financer les interruptions de grossesse, car ils devront aider des femmes à sortir de leur État pour se faire avorter, ce qui va être très cher. Certains en appellent à former plus de gens capables de pratiquer un avortement au premier trimestre d’une grossesse, ce qui ne requiert pas de diplôme de médecine. C’est d’ailleurs souvent arrivé, avant la légalisation de l’avortement: il y avait des réseaux entiers de personnes qui apprenaient à le faire. Et je crois que ça reviendra d’actualité.