Polytechnique : retour sur les racines antiféministes de cette tragédie
Radio-Canada
Le Québec commémore lundi les 32 ans de la tuerie de l'École polytechnique de Montréal, où 14 femmes ont été assassinées par Marc Lépine. Comment l’antiféminisme a-t-il évolué depuis ce massacre survenu en 1989? Entrevue avec Melissa Blais, professeure de sociologie à l’Université du Québec en Outaouais et autrice de l’essai J'haïs les féministes.
Ce que j'ai observé, ce qui m'a épatée quand j'ai plongé dans les archives, 600 articles de journaux, c’est à quel point on s’activait rapidement pour créer de la mémoire collective. Au lendemain de l'attentat, on a voulu construire la mémoire du temps présent.
Personne ne remet en question les 24 minutes de l’attentat. Mais on a cherché à trouver des causes. Premièrement, on a cherché à ancrer l’attentat dans les meurtres de masse. En faisant ça, on évacue la spécificité des motivations de Lépine.
Ensuite, on a des discours qui disaient qu’il fallait se taire. En 1990, ça venait de l’École polytechnique, notamment. On a dit : il faut arrêter d’en parler, c’est trop souffrant.
Et puis il y avait le discours qui visait à accuser le service 911 et les forces de l’ordre d’avoir tardé à agir. Encore, on évacue la dimension féministe.
Il y a ensuite des discours antiféministes qui héroïsent le tueur. On plaide la crise de la masculinité. Que c’est de la faute des femmes, qui n’ont pas su se lier d'amitié avec Lépine. Or, Marc Lépine avait écrit un manifeste antiféministe qui a été coulé dans les médias quelques mois après les événements. Et même après sa réception, les gens qui cherchaient à psychologiser le tueur ont continué à le faire.
Oui, et c'est grâce aux efforts des féministes. Des brèches s’ouvrent dans les médias, car elles gardent le fort. Dix ans après les attentats, on parlait néanmoins encore de militer contre toutes les formes de violence. On évitait de parler de l'antiféminisme.
Et puis, 20 ans plus tard, il y a eu le film Polytechnique de Denis Villeneuve et des commémorations. Il y a à ce moment un discours de négociation, c’est-à-dire qu’on parlait à la fois de la souffrance masculine, mais on poussait plus loin pour parler de violence contre les femmes.
Oui, il y a eu la demande de changer la plaque qui commémore la tuerie [pour ajouter qu’il s’agit d’un attentat antiféministe]. Ça a été pour moi un moment charnière quant à la reconnaissance des féministes, et du fait qu'il faut agir de manière préventive. Depuis le 30e anniversaire, on parle d’antiféminisme. Il y a une reconnaissance politique, notamment dans les discours. Justin Trudeau, par exemple, a dit qu'il fallait lutter contre les violences faites aux femmes.