Un accord dur à avaler pour les fromagers québécois
Radio-Canada
Un reportage de Lisa Bonte, Arthur Cremers, Lori Isbister, Anaël Rolland-Balzon, Alban Normandin et Nadia Agamawy, du DESS en journalisme de l'Université de Montréal.
Charles Trottier produit du fromage biologique à la Fromagerie des Grondines, dans la région de Québec. Il fait partie des producteurs de fromages québécois qui ont adapté leur production pour le défi d’aujourd’hui : la lutte contre le réchauffement climatique.
Mais depuis l’entrée en vigueur provisoire de l’Accord économique de commerce global (AECG), il y a cinq ans, ses fromages ont de la difficulté à rester compétitifs face aux fromages européens. Ces derniers sont plus profitables pour les détaillants, car les marges de profits sont plus grandes. À titre d’exemple, en sept ans, Charles Trottier soutient avoir perdu 70 % de ses ventes chez IGA. Ils [ne] veulent pas [nos fromages], explique-t-il.
Pour sa part, Jean Morin, propriétaire de la fromagerie du Presbytère à Warwick, s’inquiète de la compétition à laquelle font face ses fromages, comme le Louis d’Or, car ils sont vendus deux fois plus cher que leurs compétiteurs européens, comme le comté français et le gruyère suisse. Selon lui, l’impact de l’accord entraînera une diminution des ventes des produits canadiens. Au détriment du Canada, on s’en va chercher des produits importés, déplore-t-il.
Et ses inquiétudes sont loin d'être sans fondement, car d’après Charles Langlois, du Conseil des industriels laitiers du Québec, dans les quatre à cinq prochaines années, la majorité des moyennes entreprises vont disparaître. Surtout si elles fabriquent des produits qui sont similaires aux entreprises européennes.
Depuis 2017, près de 52 000 tonnes de fromages européens ont été importés en bénéficiant de contingents tarifaires ou de droits d’accès spéciaux. En 2022, ce serait l’équivalent de la production de 400 fromageries des Grondines importées au Canada sans tarifs de douane.
Pour atténuer les pertes financières dues à l’importation de produits étrangers, la moitié des contingents tarifaires de l’AECG pour les fromages ont été attribués par Ottawa aux fabricants de fromages canadiens. Toutefois, seuls les géants comme Agropur, Saputo ou Lactalis Canada ont les structures de distribution pour profiter de ces contingents.
Les grands joueurs de la transformation laitière, qui opèrent à très grande échelle, sont aussi moins touchés que les petits producteurs par les importations européennes. Ils envahissent le marché du détail avec leurs produits industriels moins chers, en plus d’importer des produits européens haut de gamme, vendus à profit aux détaillants. Ainsi, ils bénéficient pleinement de l'accord entre le Canada et l’Europe.
Charles Trottier, quant à lui, s’indigne de recevoir aussi des contingents tarifaires : Si tu l'acceptes, tu cannibalises ton propre marché, ce qui est un non-sens.