Pourquoi Poutine agit-il maintenant ?
TVA Nouvelles
La crise ukrainienne est fréquemment analysée sous l’angle unique d’un affrontement entre deux blocs idéologiques antagonistes. Le discours médiatique dominant perçoit l’accession de l’Ukraine à l’OTAN comme le catalyseur du conflit, face à un Poutine qui jugerait cette adhésion comme le franchissement par l’Occident d’une ligne rouge.
Bien que les revendications historiques par rapport à l’Ukraine expliquent en partie le positionnement de l’État russe, elles ne parviennent pas à saisir le contexte d’action de Vladimir Poutine. Autrement dit, pourquoi Poutine agit-il maintenant ? Pour résoudre cette énigme, il faut analyser les liens de dépendance énergétique entre les économies de l’OTAN et de la Russie.
D’abord, la production de pétrole et de gaz de la Russie est en voie de franchir son pic dans les années à venir. Le pétrole étant une ressource non renouvelable, après le pic, c’est le déclin inéluctable des extrants. La manne pétrolière constitue pourtant un facteur de puissance fondamental pour la Russie. Poutine a pu consolider et étendre son pouvoir de 2000 à 2008, dans un contexte où le pétrole se transigeait à un prix record sur les marchés mondiaux. Le pays dépend encore de l’or noir pour ses politiques macroéconomiques et son budget, son économie étant peu diversifiée. 40% des recettes fédérales dépendent de l’exploitation du pétrole et du gaz, ainsi que des matières premières. Alors que les prix du pétrole ont atteint un niveau qui semble vouloir s’approcher du record de 2008, Poutine voit sans doute une fenêtre d’opportunité pour projeter sa puissance qui pourrait bien ne plus se matérialiser.
Ensuite, le Président russe considère les États-Unis énergétiquement vulnérables. Loin de la puissance hégémonique que l’Oncle Sam projetait dans les années 1990, le pays est plus que jamais divisé avec un Président qui frôle des records d’impopularité.
Historiquement d’ailleurs, le taux d’appui de la population états-unienne à un Président est inversement corrélé au prix de l’essence à la pompe. Le pétrole de schiste ayant permis aux États-Unis de devenir autosuffisant et premier producteur de pétrole au monde n’est plus en mesure de répondre à la demande interne du pays. L’épuisement des réserves, couplé à un sous-investissement dans l’exploration et la production, expliquerait cet état de fait.
À ce titre, la Russie considère que si des sanctions économiques lui sont imposées, les restrictions à l’approvisionnement pétrolier qu’elle pourrait adopter en représailles seraient douloureuses.
La France et l’Allemagne quant à elles affichent une ambivalence marquée face à la perspective d’un conflit. D’entrée de jeu, ces deux pays s’opposent à ce que l’Ukraine se joigne à l’OTAN et l’Allemagne n’a fourni aucune arme létale à l’Ukraine. Leur dépendance énergétique envers la Russie influence fortement l’inclinaison de leurs dirigeants à vouloir sécuriser leur approvisionnement respectif, dans un contexte de hausse vertigineuse des cours de l’énergie en Europe.
D’abord, le géant pétrolier français Total dispose d’intérêts importants en Russie. Le groupe exploite depuis 2017 l’un des plus importants gisements de gaz naturel au monde situé dans la péninsule de Yamal en Sibérie (production de 16,5 millions de tonnes par année). Ensuite, l’Allemagne a accentué sa dépendance au gaz naturel russe en procédant à la fermeture de l’ensemble de son parc nucléaire suivant l’accident de Fukushima.
La construction du pipeline Nord Stream 2 aurait doublé la capacité de transport de gaz naturel en provenance de la Russie vers l’Europe. Le chancelier Sholz vient d’ordonner l’arrêt momentané de la certification de l’infrastructure pour punir la Russie suite à sa reconnaissance des Républiques de Donestk et de Lougansk. Or, malgré le coût certain imposé à l’État russe, l’Allemagne s’est rendu vulnérable à une augmentation soudaine et importante du prix du gaz.