Pourquoi l’État subventionne-t-il encore Ubisoft?
Radio-Canada
Bernard Landry a certainement eu raison de mettre en place un crédit d’impôt pour le secteur des jeux vidéo il y a 25 ans. Le Québec est un leader aujourd’hui dans ce secteur et fait partie des endroits les plus dynamiques en termes de production de jeux vidéo. Nous avons développé une expertise exceptionnelle et un écosystème unique. Mais il faut se demander si l’État doit encore aujourd’hui payer 37,5 % des salaires des employés d’une entreprise comme Ubisoft.
L’industrie du multimédia est abonnée aux subventions gouvernementales. Depuis des décennies, partout dans le monde, des villes, des régions et des pays ont développé des incitatifs fiscaux toujours plus généreux pour attirer des entreprises, des investissements et des travailleurs. L’industrie du jeu vidéo s’est bâtie sur un fort appui des gouvernements.
C’est Jean Campeau, alors ministre des Finances, qui en a fait la première annonce le 9 mai 1995 : Nous stimulerons l'activité dans le secteur culturel en y réinjectant les économies découlant de l'intégration à la réglementation fiscale de certaines dispositions du budget fédéral s'appliquant aux productions cinématographiques et télévisuelles. À cette fin, le gouvernement entend élargir le crédit d'impôt québécois en vue d'inclure la création et la production de contenus multimédia et la production d'émissions de type variétés et magazines.
Puis Bernard Landry, devenu ministre des Finances sous Lucien Bouchard, annonçait, un an plus tard, dans le budget de l’exercice 1996-97, les modalités de ce nouveau soutien fiscal : Conformément à cet engagement, un nouveau crédit d'impôt, le crédit d'impôt remboursable pour la production de titres multimédias, est instauré. L'aide fiscale accordée par ce crédit d'impôt sera fonction, pour une partie, des dépenses salariales admissibles engagées dans la production d'un titre et, pour une autre partie, des recettes d'exploitation admissibles générées par ce titre. En outre, une prime sera accordée dans le cas des titres produits en français et destinés au marché de la consommation.
Cette vision avant-gardiste nous a menés au succès que nous connaissons aujourd’hui. Montréal est maintenant le 4e centre mondial en développement de jeux vidéo après Los Angeles, San Francisco et Seattle. Il y a 291 studios, 13 500 employés, et le salaire moyen (y compris les avantages) est de 87 700 $ par employé à temps plein.
Ubisoft a annoncé mardi l’ouverture d’un quatrième studio, cette fois à Sherbrooke. C’est 80 emplois qui seront créés dans les trois premières années et 250 emplois dans les dix prochaines années. Québec accorde à Ubisoft, une fois de plus, le crédit d'impôt remboursable pour la production de titres multimédias, crédit pouvant atteindre 37,5 % de la dépense de main-d’œuvre admissible. Sur une dépense maximale de 100 000 $ par employés, le gouvernement du Québec paie jusqu’à 37 500 $.
Ubisoft a-t-elle encore besoin de cet argent? Les contribuables québécois doivent-ils encore subventionner Ubisoft?
Mon collègue Francis Halin, du Journal de Montréal, écrivait mardi qu’Investissement Québec avait injecté 113 millions de dollars dans Ubisoft de 1997 à 2015. De cette somme, on compte près de 83 millions de dollars en prêts sans intérêt et un peu plus de 30 millions de dollars en subventions. Les projets financés s’élèvent à environ 500 millions de dollars.
S’il est bon pour l’économie d’aider les entreprises québécoises à croître, est-il approprié, dans un contexte de crise de la main-d’œuvre, de fournir des subventions à une entreprise étrangère pour venir créer des emplois au Québec, à Sherbrooke?