Montréal : je ne reconnais plus ma ville
TVA Nouvelles
La première fois dont je me souviens de coups de feu qui ont retenti près de moi, j’avais trois ans. J’étais dans un restaurant avec mes parents lorsque des hommes ont déchargé leurs armes à l’extérieur. Tout le monde s’est jeté à terre et s’est réfugié en dessous des tables.
Je ne me souviens pas d’avoir eu peur, mais je me souviens du bruit assourdissant que faisaient les tirs des armes à feu, des voix d’hommes en colère qui faisaient écho à l’extérieur, de la proximité du corps de mes parents qui devaient être apeurés qu’on soit blessés par une balle perdue.
C’était au Salvador, pendant la guerre civile. De ce pays qui m’a vue naître, c’est le seul souvenir de la guerre que je garde. Le reste de mes souvenirs sont ceux d’une humble maison en terre et en briques, d’une grand-mère qui me choyait, d’un coq qui me terrorisait.
La deuxième fois que des coups de feu ont retenti près de moi, c’était il y a deux mois environ, dans mon quartier, à Montréal. Il était minuit et je venais de rendormir mon dernier qui s’était réveillé en pleurant, quand je les ai entendus. Six coups de feu distincts qui ont brisé le calme de la nuit. En prenant le téléphone pour composer le 911, mon cœur s’est mis à battre la chamade et mon menton s’est mis à trembler. Mon corps l’a reconnu avant que j’en prenne conscience, j’avais peur.
Les jours suivants ont été angoissants. Si l’on devait sortir tard le soir, on prenait toujours notre temps pour examiner les environs et voir s’il n’y avait pas des personnes louches qui traînaient dans les parages.
Bien que j’aie vécu toute ma vie dans des quartiers pour le moins douteux, je n’ai jamais craint de circuler à Montréal, quelle que soit l’heure. Je me suis toujours sentie en sécurité dans cette ville qui m’a vue grandir. Et maintenant, on ferme nos rideaux dès que le soleil se couche et l’on surveille l’extérieur de notre maison avec des caméras.
Notre rue calme et tranquille qui longe un petit parc est maintenant devenue une scène de crime. Un endroit à craindre. Tous nos voisins l’ont senti, ce changement dans l’air, dans nos habitudes de vie dès que la nuit tombe, parce que quelqu’un est venu tirer des coups de feu sur un autre individu juste devant chez nous, juste devant là où nos enfants dorment la nuit. Et comme ça, ils ont volé notre quiétude.
Je ne me souviens pas d’avoir eu peur ce jour-là, il y a bien des années, cachée avec mes parents sous une table pour nous réfugier des hommes qui se tiraient dessus à quelques pas de nous. Mais je me souviens de cette peur qui m’a envahie la nuit où l’on m’a volé ma tranquillité d’esprit dans mon propre quartier, dans ma ville que je ne reconnais plus.
Tania Lorena Rivera Écrivaine indépendante pour des revues parentales numériques et maman à la maison, au Québec depuis 36 ans