Manifestation à Ottawa : le gros party des mal-aimés
Radio-Canada
C’est l’heure de l’apéro à Ottawa. L’heure bleue est magnifique. Une douce lueur rose traîne dans le ciel, la nuit n’est pas tout à fait noire et « pow », un feu d’artifice éclate dans le ciel au-dessus du parlement. La capitale canadienne est en liesse. La fête est singulière. Un grand bal boréal ou le froid n’empêche pas ceux qui se sentent « rejetés » de se réchauffer, de se valider, de se sentir, enfin, exister.
Jonathan Potvin est venu avec ses quatre enfants déambuler dans la rue avec les manifestants. Il brandit la Charte des droits et libertés du Canada. Je ne peux plus aller chez Rona ou Costco. C’est tyrannique, les mesures sanitaires sont discriminatoires.
Le père de famille se sent énergisé par le rassemblement à Ottawa. Il manque de nuances dans le discours médiatique. Nous ne sommes pas racistes, nous ne sommes pas sexistes, ni anti-science, nous sommes pour la liberté, le choix, explique-t-il encore.
Vincent Manuel Potvin porte une affiche sur laquelle il a inscrit le slogan des anarchistes espagnols : ni Dieu ni maître. On n'est pas tous des édentés, dit-il. Il en a assez du portrait péjoratif qu’on dresse de ceux qui sont réfractaires aux mesures sanitaires qu’ils trouvent liberticides.
Si certains tiennent des discours structurés, il n’en va pas de même pour tous. Youhoooooo est sans aucun doute le slogan que nous avons le plus entendu de la journée. Les gens se tapent dans les mains spontanément en défilant entre les camions stationnés. Leur cri de ralliement est vulgaire : Fuck Trudeau. Ils le répètent comme un mantra, joyeusement. Fuck Trudeau peut se lire sur des affiches, des casquettes, des drapeaux, en français comme en anglais.
Dans les rues, les gens dansent, chantent. On a vu des cercles se former spontanément, les participants se tenant la main. Un homme s’est même donné la peine de se dévêtir pour divertir la foule.
Mais c’est dans les hôtels que la véritable fête se déroule. Dans les halls d’à peu près tous les grands hôtels de la capitale, la scène se répète depuis vendredi : les gens se parlent, s’encouragent. Les livreurs de pizza, de mets chinois entrent et sortent, les caisses de bière défilent et prennent l’ascenseur vers les chambres. Le plus frappant : personne ne porte de masque, mais ils sont ensemble et s’encouragent à défier symboliquement la consigne.
Dans l’hôtel où nous logeons, le personnel, de guerre lasse, semble avoir abandonné la partie. Si vendredi matin le personnel implorait les clients de se masquer, ils ont abandonné la partie. Impossible de faire appliquer les règles dans le contexte de la grande fête du fuck you. Des clients non masqués s’engouffrent en riant dans l'ascenseur, satisfaits de désobéir. Devant l’hôtel, un camion diffuse à répétition la chanson : We're Not Gonna Take it des Twisted Sister, au grand plaisir des manifestants-fêtards.
Combien de temps la fête durera-t-elle et demeurera-t-elle, justement, cela : une fête? Un exécutoire? Un défoulement plutôt bon enfant?