
Lobbyisme: mettre la charrue avant les bœufs
TVA Nouvelles
En tant que dirigeant d’une des équipes d’affaires publiques les plus actives au nouveau registre des lobbyistes du Québec – surnommé Carrefour Lobby Québec – c’est avec déception que j’ai pris connaissance de la plus récente sortie publique du commissaire au lobbyisme, Me Jean-François Routhier, publiée dans plusieurs médias. Selon nous, la priorité devrait aller au perfectionnement du nouveau registre, et non aux grandes réformes.
L’affirmation du commissaire selon laquelle il est «impossible pour le citoyen de savoir» si des communications d’influence ont lieu au Québec a de quoi faire sursauter... Pourtant, plus de 5500 mandats sont inscrits au registre, par quelque 1500 entreprises ou organisations et environ 400 lobbyistes-conseils. Ces mandats sont tous publics. Les délais d’inscription sont serrés.
De plus en plus de médias et de décideurs consultent le registre au quotidien. Le commissaire a une équipe de surveillance qui travaille à détecter les anomalies. Si ce n’est pas de la transparence, ça, que l’on me dise ce que c’est!
En réalité, bien qu’imparfait, comme tout système d’encadrement, le régime actuel est très loin d’une situation de crise de confiance, comme le prétend le commissaire. Au lieu de pécher par excès d’ambition, l’institution du commissaire devrait se concentrer sur le fonctionnement du registre, dont il a la responsabilité depuis moins de deux ans.
En effet, en plus de nécessiter une haute littératie numérique, l’implantation du nouvel outil ne s’est pas faite sans heurts. Une plateforme qui cesse de «planter» à répétition, la possibilité de relier plusieurs lobbyistes-conseils à un seul mandat, la capacité de retirer des usagers des espaces collectifs: voilà quelques exemples très concrets d’améliorations qui auraient un effet bénéfique sur l’utilisation du registre et donc sur la transparence.
Si le commissaire tient à se présenter à l’Assemblée nationale, il serait beaucoup plus productif et pédagogique de réaliser un examen du fonctionnement du nouveau registre en commission parlementaire, quelques années après son transfert par l’adoption du projet de loi numéro 6, sur le modèle de ce qui avait été fait quelques années après l’adoption initiale de la loi en 2002. D’ailleurs, en 2020, l'actuel commissaire accueillait «avec enthousiasme» la recommandation de l’Association québécoise des lobbyistes faite au gouvernement d’évaluer «l’application d’une nouvelle loi» sur le lobbyisme.
Tout n’est pas mauvais dans le discours du commissaire, cela dit. La proposition de rendre les entreprises, en plus des individus, imputables de leurs gestes nous semble porteuse. Mais nous n’en sommes pas là. Le travail de base devrait être complété adéquatement avant de passer aux étapes avancées.
