Dominique Fortier : combler les brèches de l’Histoire par la littérature
Radio-Canada
L’Histoire qui nous est enseignée n’est évidemment pas toujours exhaustive. Elle laisse ici et là des trous que les historiens ne peuvent remplir. Dominique Fortier voit là une source d’inspiration pour l’écriture de ses romans, elle qui a gagné le prix Renaudot de l’essai en 2020 pour Les villes de papier, un roman qui nous plonge dans la vie d'Emily Dickinson.
Outre l’univers de cette poète américaine, l’écrivaine s’est intéressée à l’expédition en bateau de John Franklin en 1845 dans Du bon usage des étoiles, son premier roman, paru en 2008. Dans son deuxième, Les larmes du Saint-Laurent, il est question d’un survivant de l'éruption d’un volcan en Martinique en 1902.
Ce qui m’intéresse dans le fait de revisiter des personnages réels, c’est qu’ils sont plus que des personnages historiques, ce sont presque des mythes, explique Dominique Fortier. Emily Dickinson est une figure qui a été explorée par la fiction de toutes sortes de façons. C’est la même chose avec l’expédition Franklin, qui avait déjà fait l’objet de beaucoup de romans, de poèmes et d’une adaptation télé. C’est comme s’il y avait différentes couches de significations qui se superposaient. Je mêle ma voix à un dialogue qui existe déjà.
Se donne-t-elle la liberté de modifier l’histoire réelle au profit de son roman? J’essaie de ne pas le faire. Ça m’arrive de remplir des trous, mais c’est la job de tout écrivain, dit-elle, en prenant exemple sur les deux bateaux de l’expédition Franklin qui, au moment de l’écriture du roman, n’avaient pas été retrouvés.
Un premier bateau a finalement été repéré en 2014, et le deuxième, en 2016, non loin d’où elle les avait situés. Je n’aurais pas été les placer à 1000 km de là. Je ne veux pas aller contre ce qui existe, je veux essayer de combler les zones d’ombre.
Dominique Fortier a attendu jusqu’à ses 36 ans avant de publier son premier roman, après des années à repousser encore et encore ce rêve qu’elle chérissait depuis longtemps.
Il n’y a jamais de moment parfait, admet la romancière, qui se rappelle avoir été effrayée d’entamer l’écriture d’un livre. Ça faisait des années que je me couchais le soir et que je me disais : "Aujourd’hui, tu n’as toujours pas écrit". C’est une sorte de culpabilité. Cette voix est devenue trop forte, trop énervante, il a fallu que je la fasse taire.
Cette voix, elle a réussi à s’en départir, puisqu’elle publiera son sixième roman le 15 mars, Les ombres blanches, la suite des Villes de papier. Mais le vertige est toujours là, même après avoir gagné le prix Renaudot.
« Chaque livre est comme le premier. Je pense que si cette crainte n’était pas là, le bonheur d’écriture serait moindre. Il y a une part de risque qu’il faut accepter. »