« Jane Roe », une femme ballottée dans la bataille américaine pour l’avortement
Radio-Canada
Norma McCorvey, plaignante de Roe c. Wade qui, en 1973, aboutit à la reconnaissance par la Cour suprême du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG), est propulsée presque par hasard au cœur de ce combat. Elle en deviendra plus tard une farouche opposante, dans un revirement qui surprendra l'Amérique.
En 1969, quand l'histoire de l'affaire judiciaire débute, cette Américaine du sud rural et conservateur a 22 ans, et elle est enceinte pour la troisième fois. Sa première fille, qu'elle a eue encore adolescente, a été élevée par ses parents, et sa deuxième a été adoptée.
Brièvement mariée à 16 ans, violentée par sa famille quand elle leur a avoué être lesbienne, Norma McCorvey a un sérieux problème d'alcool et pas un sou en poche. Surtout, elle a réalisé peu après la naissance de son premier enfant qu'elle n'était pas faite pour être mère et qu'elle ne voulait pas l'être, relate le journaliste Joshua Prager, auteur d'un livre très fouillé, The Family Roe.
Sauf que dans le Texas des années 1960, où elle vit, avorter est illégal. Des solutions existent, dans des cliniques clandestines ou des États qui l'autorisent, mais la jeune femme n'en a tout simplement pas les moyens, explique Joshua Prager à l'AFPAgence France-Presse.
Elle est orientée vers les avocates Sarah Weddington et Linda Coffee. Loin d'avoir l'âme militante, Norma McCorvey cherche tout simplement un moyen d'interrompre sa grossesse. Les deux jeunes femmes, elles, cherchent une plaignante pour défendre l'avortement devant la Cour suprême.
C'est ainsi que Norma McCorvey devient Jane Roe, nom utilisé pour l'anonymiser. Ses avocates atteignent leur but, obtenant quelques années plus tard une décision historique de la Cour suprême. Mais pour la jeune femme qui en est à l'origine, il est trop tard. Elle a eu son enfant, plus tard surnommé bébé Roe, et donné en adoption.
D'abord en retrait du mouvement pro-choix, Norma McCorvey sort de l'ombre à la fin des années 1980, raconte Joshua Prager. Elle multiplie les interviews, participe à des manifestations, et écrit même un livre à succès, I Am Roe.
Elle cherche à être dans la lumière, mais ne fait pas l'unanimité au sein du mouvement féministe, peu enclin à lui laisser la parole. Elle n'était pas très éduquée. Et ils l'ont vraiment marginalisée, affirme Joshua Prager, qui assure qu'elle était heurtée par ce rejet.
Finalement, au milieu des années 1990, après avoir passé des années à défendre l'accès à l'avortement, travaillant même dans une clinique, elle se déclare opposée à l'IVGinterruption volontaire de grossesse, peu après sa rencontre avec un pasteur évangélique, Flip Benham.