« Certaines pandémies ne finissent pas, elles deviennent invisibles aux plus nantis »
Radio-Canada
À travers le monde, les restrictions sanitaires tombent alors que de nombreux pays riches, bien dotés en vaccins, entendent désormais vivre avec la COVID-19. Le Dr Madhukar Pai, professeur d'épidémiologie et de santé mondiale à l'Université McGill de Montréal, y voit cependant le risque qu’une fois encore, les pays démunis soient laissés à eux-mêmes dans la lutte contre le virus, comme ce fut le cas avec la malaria, la tuberculose et le sida. Entretien.
Madhukar Pai. D’abord, je crois qu’il y a un mythe persistant à déboulonner selon lequel la COVID-19 n’a pas touché les pays les plus pauvres, surtout en Afrique. Nous savons que ces pays ont largement sous-estimé les cas et les décès. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs récemment montré que c'est dans les pays à faible ou à moyen revenu que la surmortalité était la plus élevée. Cela veut dire que les nations les plus pauvres sont davantage touchées.
Il faut de plus prendre en compte l'iniquité qui existe entre les pays quant à l’accès aux tests, aux vaccins et aux traitements antiviraux.
Nous sommes chanceux [au Canada] d'obtenir notre troisième, voire notre quatrième dose. Nous avons accès à des antiviraux. Ce n'est pas le cas pour les pays les plus pauvres. La plupart des pays en Afrique ont vacciné moins de 15 % de leur population avec deux doses.
Les pays nantis ont été avares. C’est égoïste, c’est une vision à courte vue. Mais personne ne semble écouter.
M.P. Oui, la maladie deviendra endémique pour ces pays, mais pas pour ceux qui ont peu de ressources et qui sont parmi les plus vulnérables. La COVID-19 s'ajoutera ainsi à la liste des maladies qui sont meurtrières dans les pays à faible revenu, comme la malaria, la tuberculose et le VIH.
Avec la COVID-19, on voit que ça se passe exactement comme dans le passé. Lorsqu’une maladie cesse de toucher les personnes blanches, les riches, les groupes privilégiés, on passe à autre chose et la maladie devient invisible.
Par exemple, pour la tuberculose, on utilise le même vaccin depuis 100 ans. Combien de vaccins avons-nous déjà développés contre la COVID-19? Le montant investi dans la lutte contre la COVID-19 est 1000 fois plus élevé que ce qui est investi contre la tuberculose.
Il y a 50 à 100 ans, il y avait encore beaucoup de tuberculose à Montréal, il y avait même un sanatorium. Mais les pays riches ont pu passer à autre chose parce qu'ils ont les ressources. Et pourtant, encore aujourd'hui, nous avons des taux de tuberculose élevés chez les Inuit et nous ne faisons rien.